L’infection par Covid-19 devant les CCI : régime dérogatoire en matière d’infection nosocomiale ?
- Johanna Britz

- 7 avr. 2023
- 4 min de lecture
Les Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) ont à connaître des demandes d’indemnisation en matière de Covid-19 nosocomiale.
Les premières décisions rendues en la matière laissent cependant perplexes quant au régime appliqué.
C’est notamment le cas d’une demande d’indemnisation formulée par les ayants droit d’une patiente âgée, hospitalisée suite à une chute dans un contexte d’altération de l’état général. Un test PCR est réalisée à l’entrée mais revient négatif.
Au cours de la prise en charge, une tumeur lourde et potentiellement non curable est mise en évidence.
A J 10, un cas de Covid-19 est identifié dans le service et la patiente est testée positive à l’infection dans le cadre d’un dépistage systématique. Décision est prise de ne pas proposer de réanimation invasive du fait de la pathologie initiale.
Les suites seront défavorables et la patiente va finalement décéder.
Aux termes de leur rapport d’expertise, les experts ont estimé que la patiente avait acquis son infection par Covid-19 à l’hôpital, de façon certaine, et que le décès était en lien avec cette infection.
Les experts retiennent cependant qu’« en l’absence de test PCR covid 19 fait au sein de la famille, une transmission lors d’une visite ne peut pas être totalement exclue ».
La CCI rejette la demande d’indemnisation formulée par les ayants droit. Elle estime en effet que si l’infection a bien été acquise à l’hôpital, les modalités exactes de la contamination ne sont pas connues avec certitude, le lien de causalité avec un acte de prévention, diagnostic ou soin n’étant donc pas établi.
Cadre juridique de la réparation en matière d’infection nosocomiale
Le cadre juridique de l’indemnisation en matière d’infection nosocomiale est pourtant bien établi.
Il ressort de l’article L. 1142-1 I alinéa 2 du Code de la santé publique que « Les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».
Le législateur institue ainsi une présomption qui ne peut être renversée que par la preuve de l’existence d’une cause étrangère.
Récemment, la Cour de cassation a repris la définition de l’infection nosocomiale déjà dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 23 mars 2018 (Conseil d'État, Section, 23/03/2018, 402237, Publié au recueil Lebon) :
« doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge » (Civ. 1re, 6 avr. 2022, F-B, n° 20-18.513)
Les deux ordres de juridiction s’accordent donc sur la définition juridique de l’infection nosocomiale et estiment que la présomption ne peut être renversée que s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge.
Application par les CCI
La décision de la CCI, qui en réalité s’intègre dans une importante série de décisions de rejet, est difficilement justifiable sur le plan juridique.
La Commission aurait dû rechercher si l’origine extérieure de l’infection était établie. A défaut de certitude, la présomption établie par l’article L. 1142-1 I alinéa 2 du Code de la santé publique avait vocation à s’appliquer.
En l’espèce, la circonstance qu’il n’était pas établi que les membres de la famille de la patiente étaient porteurs de la Covid-19 et à l’origine de la contamination de cette dernière, ne pouvait être considérée comme une origine extérieure démontrée, a fortiori dans un contexte de dépistage systématique lié à la contamination d’un autre patient du service.
Ainsi, la CCI a fait une application surprenante de la notion de cause étrangère et a rendu une décision à tout le moins critiquable.
Pourtant, la Commission Nationale des Accidents Médicaux (CNAMed) s’était saisie de cette question avait établi, par une note déposée le 23 juin 2021, un « socle commun de références pour les experts, dans le but d’homogénéiser les réponses aux questions posées par les CCI ».
Dans ce document, la CNAMed établissait notamment un guide en matière de probabilité de contamination nosocomiale tenant compte des périodes d’incubation.
Les experts rédacteurs s’accordent sur le fait que lorsque les premiers symptômes d’un malade apparaissent lors de son séjour en établissement, le caractère nosocomial de l’infection par la Covid-19 est :
Improbable si le délai de survenue est de 2 jours ou moins,
Peu probable si le délai est de 3 ou 4 jours,
Vraisemblable si le délai est de 5 ou 7 jours,
Certain au-delà de 7 jours.
Si les premiers symptômes apparaissent après la sortie de l’établissement, le caractère nosocomial sera :
certain si le délai est de 2 jours ou moins,
vraisemblable si le délai est de 3 à 7 jours,
peu probable si le délai est de 7 à 10 jours,
improbable si le délai est de plus de 12 jours.
Il y a donc lieu de s’interroger sur la motivation des CCI à rejeter des dossiers dans lesquels il est raisonnable de penser que les juridictions seraient susceptibles de statuer différemment en appliquant une législation et une jurisprudence désormais bien établies.
Entre le 1er mars 2020 et le 14 janvier 2022, 30 % des établissements de santé français ont signalé au moins un épisode de Covid-19 nosocomial, 73 % des signalements reçus correspondaient à des situations de cas groupés (au moins 3 cas liés) et 77 % des signalements de cas groupés présentaient un caractère nosocomial certain ou probable.
Si l’on peut aisément qualifier la situation sanitaire liée à la Covid-19 d’exceptionnelle, un parallèle peut cependant être effectué avec les grippes acquises lors d’épidémies saisonnières.
Or, si les décisions sont rares, les juridictions admettent la qualification de grippe nosocomiale dès lors que les critères de l’infection nosocomiale sont remplis (voir en ce sens Tribunal administratif de Rennes - 4ème Chambre - 14 octobre 2022 - n° 2003821 et Cour administrative d'appel de Marseille - 2ème chambre - 21 octobre 2021 - n° 20MA0188).
Les juridictions risquent donc d’être largement saisies de ce contentieux tant en post-CCI que directement par les victimes.
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