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Chirurgie bariatrique : le loto des qualifications médico-légales en cas de complication

Dernière mise à jour : 24 oct.

Avec 60.000 interventions réalisées en 2016, l’IGAS met en exergue un triplement des chirurgies de l'obésité en 10 ans. (Situation de la chirurgie de l’obésité, Rapport IGAS n°2017-059R)


Pourtant, la chirurgie bariatrique est une intervention de dernier recours qui doit s’inscrire dans la prise en charge plus générale de l’obésité.


Si cette chirurgie permet de réduire la mortalité en lien avec l’obésité d’un tiers, le risque opératoire s’évalue à 10% toutes chirurgies et complications confondues.


Une chirurgie lourde aux risques gravissimes


La chirurgie de l’obésité est une chirurgie étonnante, aux résultats souvent spectaculaires.


Des patients qui présentent un surpoids extrêmement important, résistant aux régimes, bénéficient d’une intervention qui – si les résultats sont au rendez-vous – leur permet de retrouver un poids normal ou quasi normal en quelques mois et d’observer une diminution rapide de la symptomatologie liée à leur obésité.


Mais lorsque le dossier arrive entre les mains de l’avocat, c’est qu’une complication est survenue. Et en matière de chirurgie bariatrique, la complication est toujours grave.


En effet, l’importance de la chirurgie est souvent très sous-estimée par les patients malgré une période préopératoire longue et rythmée par un parcours bien établi et protocolisé.


En outre, les facteurs de comorbidité présentés par les patients prédisposent à la survenue d’accidents graves, engageant le pronostic vital.


Ce tableau très spécifique combinant intervention délicate et patient fragile peut rendre flous les contours de la responsabilité.


Dans un article de novembre 2022, la MACSF publiait ses statistiques en la matière, se fondant sur un échantillon de 305 réclamations (Le risque médico-juridique en chirurgie digestive, Margaux Dima, MACSF, 8 novembre 2022)


Il était notamment souligné que :


  • Près d’un tiers des dossiers ouverts en chirurgie digestive concernent une chirurgie bariatrique,


  • L’intervention la plus pratiquée est la sleeve gastrectomie,


  • La maladresse opératoire et le retard de prise en charge en postopératoire sont les principaux manquements retenus.


Ces statistiques soulignent l’importance du sujet. Pour l’avocat intervenant en matière de dommage corporel, les dossiers de chirurgie bariatrique appellent toujours à une vigilance particulière.


Techniquement, les victimes d’accidents médicaux sont indemnisées :


  • Par les professionnels de santé en cas de faute,


  • Par l’Oniam en cas d’aléa thérapeutique, dans les conditions suivantes :


o Lien de causalité entre la complication et un acte de prévention, diagnostic ou soin,

o Atteinte des seuils de gravité prévus à l’article D.1142-1 du code de la santé publique,

o Anormalité du dommage (l’accident doit avoir eu des conséquences plus graves que celles auxquelles le patient était exposé en l’absence d’intervention et la probabilité de survenance du dommage doit être faible).


L’étude de la jurisprudence récente montre l’existence d’un flou sur la prise en charge juridique de ces complications.


Analyse jurisprudentielle de la réparation en matière de chirurgie bariatrique


Une analyse de la jurisprudence récente des juridictions de second degré et de la Cour de cassation montre que les conséquences juridiques de la complication de la chirurgie bariatrique divergent selon les juridictions et sont nettement influencées par les conclusions expertales, créant une forme d’imprévisibilité pour les victimes et les professionnels du droit qui les accompagnent.


L’analyse des décisions parues depuis 2021, portant sur des complications survenues au décours de sleeves gastrectomies permet de faire ressortir les difficultés suivantes.


1. Le régime de l’infection nosocomiale est parfois appliqué dans l’hypothèse de la fistule gastrique ayant entrainé une péritonite


La survenue d’une péritonite consécutive à une fistule gastrique est encore parfois qualifiée d’infection nosocomiale, y compris par la Cour de cassation.


De telles décisions n’interviennent que quand les experts posent cette qualification, ce qui est révélateur de la tendance des juridictions à suivre de façon systématique le rapport d’expertise (CA Douai, 7 octobre 2021, n° 19/06892 ; Cass, civ 1ère, 23 novembre 2022, n° 21-24.103)


Les conséquences d’une telle qualification sont plurales :


  • Le régime de l’infection nosocomiale est un régime de responsabilité sans faute. Le taux de déficit fonctionnel permanent conditionne la responsabilité (Moins de 25% = Etablissement ; Plus de 25% = Oniam) : les établissements peuvent donc être concernés par l’indemnisation en l’absence de toute faute.


  • Les conditions d’ouverture d’un droit à indemnisation sont plus larges : indemnisation systématique, soit par l’Oniam en cas de DFP important, soit par l’établissement en cas de DFP plus faible


Si effectivement la péritonite postopératoire peut entrer dans la définition de l’infection nosocomiale (infection ni présente ni en incubation lors de l’admission), il n’en demeure pas moins que le fait générateur est la fistule et non l’infection.


C’est d’ailleurs précisément ce que juge la Cour administrative d’appel de Douai. (CAA Douai, 24 janvier 2023, n° 21DA02910)


En tout état de cause, l’utilisation par les juridictions de régimes juridiques différents sur des complications similaires est problématique.


2. L’état antérieur constitué par l’obésité est aujourd’hui considéré par les juridictions


L’état antérieur constitué par l’obésité et les conséquences directes de celle-ci est réellement pris en compte par la juridiction pour apprécier la condition d’anormalité, ce qui constitue une évolution par rapport à la fin des années 2010. (CA Paris, 07 janvier 2021, n°18/14743 ; CA Colmar, 10 septembre 2021, n° 383/2021 ; CA Paris, 18 novembre 2021, n° 19/07553)


3. Les données statistiques scientifiques varient sensiblement entre les rapports d’expertise


Les taux de survenues de la complication de fistule retenus par les différents experts divergent de façon importante, ce qui peut avoir un impact sur l’indemnisation :




  • Taux global de morbidité de l’intervention (CA Colmar, 10 septembre 2021, n° 383/2021)


  • Fourchettes de survenance larges (Cour d'appel de Colmar - ch. civile 02, 10 septembre 2021 / n° 383/2021, Cour d'appel de Paris - Pôle 04 ch. 10, 18 novembre 2021 / n° 19/07553)


Les données statistiques utilisées par les experts pour des complications similaires survenues à des dates proches sont donc divergentes et peuvent impacter l’indemnisation.


4. Les fautes médicales sont rarement retenues ou de faible impact


Les plaies et perforations, qui devraient entrer dans le régime de la maladresse chirurgicale, sont finalement qualifiées d’aléas thérapeutiques. (CAA Paris, 21/04/2022, n°21PA01738, à rapprocher des autres plaies en matière bariatrique : CA Poitiers, ch. civile 01, 12 avril 2022, n° 20/01637)


Les juridictions font une appréciation stricte du lien de causalité :




L’issue du dossier en matière de complication bariatrique est donc plus qu’incertaine, à tous les stades de la procédure. Une faute semblant évidente à l’avocat lors de la réception du dossier (non-respect des recommandations de la HAS par exemple), peut n’avoir finalement aucune conséquence au stade de l’indemnisation. Une maladresse peut être finalement jugée non fautive par les juridictions. L’obésité, en tant qu’état antérieur, peut faire obstacle à l’indemnisation.


L’important aléa – tant expertal que juridique – doit interpeler et conduire à une réflexion globale en la matière, dans ce contentieux qui est aujourd’hui significatif.


Juridiction :

CA Paris, 07 janvier 2021, n°18/14743

Intervention pratiquée :

Sleeve-gastrectomie

Complication (s) :

Fistule gastrique

Conclusions expertales :

Les experts notent que la fistule est une complication connue et redoutée, dont la prévalence est de 4 à 5 %. Le risque en est augmenté chez les patients ayant précédemment eu un anneau gastrique, les experts évoquant un pourcentage de 10 %.

Point de discussion juridique :

La condition d’anormalité du dommage est-elle remplie ?

Décision :

En l’absence de déficit fonctionnel permanent, les conséquences de l’intervention ne sont pas plus grave que celles auxquelles la patiente était exposée en l’absence de toute compilation, du fait de son obésité et des conséquences de celles-ci. Le taux de survenance de la fistule ne peut être considéré comme faible. La condition d’anormalité n’est donc

pas remplie.

 

Juridiction :

CA Colmar, 10 septembre 2021, n° 383/2021

Intervention pratiquée :

Sleeve-gastrectomie

Complication (s) :

Fistule gastrique

Conclusions expertales :

La    morbidité    des       interventions       de       chirurgie bariatrique est de l’ordre de 30%.

Les fistules surviennent dans 5 à 10% des cas.

Point de discussion juridique :

La condition d’anormalité du dommage est-elle remplie ?

Décision :

La patiente ne démontre pas que l’intervention a e u des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle aurait été exposées du fait de son obésité. Par ailleurs, l’intervention présentait des risques élevés de complication dont la fistule. La

condition d’anormalité n’est donc pas remplie.

 

Juridiction :

CA Douai, 7 octobre 2021, n° 19/06892

Intervention pratiquée :

sleeve gastrectomie


Complication (s) :

fistule gastrique

Conclusions expertales :

L’expert conclut à l'existence d'une infection nosocomiale

Point de discussion juridique :

Une péritonite en lien avec une fistule peropératoire peut-elle être qualifiée d’infection nosocomiale ?

Décision :

Il en ressort qu'une micro-fistule affectant la plaie opératoire a provoqué l'apparition d'une infection dans un délai inférieur à 30 jours à compter de la sortie du patient de la Clinique. L'infection doit ainsi être considérée comme ayant été contractée au sein de l'établissement, même si sa manifestation a été différée.

Le caractère nosocomial de cette infection est par

conséquent établie.

 

Juridiction :

CA Paris, 18 novembre 2021, n° 19/07553

Intervention pratiquée :

Sleeve-gastrectomie

Complication (s) :

Fistule gastrique

Conclusions expertales :

Faute d’imprudence du chirurgien dans le suivi post-opératoire précoce dans la phase de cicatrisation, en différant au lendemain, l'examen clinique qui s'imposait immédiatement, ce qui engage sa responsabilité.

L'évolution spontanée de cette obésité morbide aurait exposé Mme K à un risque prématuré de décès et à un risque élevé de complications.

S'agissant de la probabilité de la survenue des complications les experts retiennent une fréquence oscillant entre 3,5 % et 7/8%, majorée en cas d'antécédent d'anneau gastrique.

Point de discussion juridique :

La condition d’anormalité du dommage est-elle remplie ?

Décision :

Absence d’anormalité mais faute à l’origine d’une perte de chance, 70% des préjudices étant imputables à cette faute.

 

Juridiction :

CAA Paris, 21 avril 2022, n°21PA01738

Intervention pratiquée :

sleeve-gastrectomie

Complication (s) :

Perforation de la face postérieure de l’estomac

Conclusions expertales :

La perforation peut être en lien avec une maladresse fautive liée soit une blessure de la face postérieure de l'estomac par l'appareil Ligasure, appareil chirurgical permettant la ligature de l'estomac après sa réduction partielle, soit une manipulation trop violente du corps gastrique pendant la création du

tube

Point de discussion juridique :

La perforation constitue-t-elle une maladresse chirurgicale ?

Décision :

L’intervention ayant été conduite dans les règles de l’art, la perforation constitue un accident médical


non fautif. Rejet de la demande d’indemnisation, les seuils d’indemnisation par l’Oniam n’étant pas atteints.

 

Juridiction :

Cass, civ 1ère, 23 novembre 2022, n° 21-24.103

Intervention pratiquée :

Sleeve gastrectomie

Complication (s) :

Fistule

Conclusions expertales :

"serait retenue comme infection nosocomiale sur des critères chronologiques" ; "il indique ensuite qu'il s'agit d'une infection à germes digestifs endogènes et, "initialement d'un accident médical" puisqu'elle est secondaire à ce dernier et inévitable " ; "l'accident médical, cause de l'infection survenue"

Point de discussion juridique :

Une péritonite en lien avec une fistule peropératoire peut-elle être qualifiée d’infection nosocomiale ?

Décision :

Infection nosocomiale caractérisée par la cour

 

Juridiction :

CAA Douai, 24 janvier 2023, n° 21DA02910

Intervention pratiquée :

Sleeve-gastrectomie

Complication (s) :

Fistule gastrique

Conclusions expertales :

Résection gastrique non conforme aux règles de l’art car réalisée trop serrée augmentant le risque de survenue d’une fistule.

La fistule est un accident médical non fautif en l’absence de faute technique, survenant dans 2 à 4% des cas. Impossibilité de corréler directement la survenue de la fistule gastrique à la réalisation d'une

résection trop serrée

Point de discussion juridique :

La péritonite résultant de la fistule constitue-t-elle une infection nosocomiale ?

Quel est l’impact de la faute commise dans la résection sur les responsabilités ?

Décision :

La survenue d’une fistule est un accident médical, la péritonite en liée avec la fistule n’étant qu’une conséquence de l’accident.

Pas d’indemnisation par la solidarité nationale en l’absence d’atteinte des seuils de gravité.

La fistule est un aléa thérapeutique, la sténose trop serrée ne constituant qu’une perte de chance d’échapper à la fistule évaluée à 20%.

 

Juridiction :

CAA Douai, 28 mars 2023, n° 21DA01028

Intervention pratiquée :

Sleeve gastrectomie

Complication (s) :

Fistule en partie haute de la suture gastrique

Conclusions expertales :

La fistule est la réalisation d'un risque inhérent à la chirurgie bariatrique se produisant dans 5 % des cas et qu'il s'agit d'un accident médical non fautif

Point de discussion juridique :

La patiente n’a pas bénéficié du parcours préopératoire recommandé et a été opérée dans une structure non adaptée aux personnes super obèses. Ces fautes préopératoires engagent-elles la responsabilité du Centre Hospitalier ?

Décision :

Indemnisation mise à la charge de l'Oniam en l'absence de faute : l'indication opératoire de sleeve demeure valide et la complication est en lien avec un risque inhérent à la chirurgie, qui n'a pas de lien avec l'absence de prise en charge préopératoire conforme aux recommandations.






 
 
 

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