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Chirurgie bariatrique : le loto des qualifications médico-légales en cas de complication

Dernière mise à jour : 15 mai 2023

Avec 60.000 interventions réalisées en 2016, l’IGAS met en exergue un triplement des chirurgies de l'obésité en 10 ans. (Situation de la chirurgie de l’obésité, Rapport IGAS n°2017-059R)


Pourtant, la chirurgie bariatrique est une intervention de dernier recours qui doit s’inscrire dans la prise en charge plus générale de l’obésité.


Si cette chirurgie permet de réduire la mortalité en lien avec l’obésité d’un tiers, le risque opératoire s’évalue à 10% toutes chirurgies et complications confondues.


Une chirurgie lourde aux risques gravissimes


La chirurgie de l’obésité est une chirurgie étonnante, aux résultats souvent spectaculaires.


Des patients qui présentent un surpoids extrêmement important, résistant aux régimes, bénéficient d’une intervention qui – si les résultats sont au rendez-vous – leur permet de retrouver un poids normal ou quasi normal en quelques mois et d’observer une diminution rapide de la symptomatologie liée à leur obésité.


Mais lorsque le dossier arrive entre les mains de l’avocat, c’est qu’une complication est survenue. Et en matière de chirurgie bariatrique, la complication est toujours grave.


En effet, l’importance de la chirurgie est souvent très sous-estimée par les patients malgré une période préopératoire longue et rythmée par un parcours bien établi et protocolisé.


En outre, les facteurs de comorbidité présentés par les patients prédisposent à la survenue d’accidents graves, engageant le pronostic vital.


Ce tableau très spécifique combinant intervention délicate et patient fragile peut rendre flous les contours de la responsabilité.


Dans un article de novembre 2022, la MACSF publiait ses statistiques en la matière, se fondant sur un échantillon de 305 réclamations (Le risque médico-juridique en chirurgie digestive, Margaux Dima, MACSF, 8 novembre 2022)


Il était notamment souligné que :


  • Près d’un tiers des dossiers ouverts en chirurgie digestive concernent une chirurgie bariatrique,


  • L’intervention la plus pratiquée est la sleeve gastrectomie,


  • La maladresse opératoire et le retard de prise en charge en postopératoire sont les principaux manquements retenus.


Ces statistiques soulignent l’importance du sujet. Pour l’avocat intervenant en matière de dommage corporel, les dossiers de chirurgie bariatrique appellent toujours à une vigilance particulière.


Techniquement, les victimes d’accidents médicaux sont indemnisées :


  • Par les professionnels de santé en cas de faute,


  • Par l’Oniam en cas d’aléa thérapeutique, dans les conditions suivantes :


o Lien de causalité entre la complication et un acte de prévention, diagnostic ou soin,

o Atteinte des seuils de gravité prévus à l’article D.1142-1 du code de la santé publique,

o Anormalité du dommage (l’accident doit avoir eu des conséquences plus graves que celles auxquelles le patient était exposé en l’absence d’intervention et la probabilité de survenance du dommage doit être faible).


L’étude de la jurisprudence récente montre l’existence d’un flou sur la prise en charge juridique de ces complications.


Analyse jurisprudentielle de la réparation en matière de chirurgie bariatrique


Une analyse de la jurisprudence récente des juridictions de second degré et de la Cour de cassation montre que les conséquences juridiques de la complication de la chirurgie bariatrique divergent selon les juridictions et sont nettement influencées par les conclusions expertales, créant une forme d’imprévisibilité pour les victimes et les professionnels du droit qui les accompagnent.


L’analyse des décisions parues depuis 2021, portant sur des complications survenues au décours de sleeves gastrectomies permet de faire ressortir les difficultés suivantes.


1. Le régime de l’infection nosocomiale est parfois appliqué dans l’hypothèse de la fistule gastrique ayant entrainé une péritonite


La survenue d’une péritonite consécutive à une fistule gastrique est encore parfois qualifiée d’infection nosocomiale, y compris par la Cour de cassation.


De telles décisions n’interviennent que quand les experts posent cette qualification, ce qui est révélateur de la tendance des juridictions à suivre de façon systématique le rapport d’expertise (CA Douai, 7 octobre 2021, n° 19/06892 ; Cass, civ 1ère, 23 novembre 2022, n° 21-24.103)


Les conséquences d’une telle qualification sont plurales :


  • Le régime de l’infection nosocomiale est un régime de responsabilité sans faute. Le taux de déficit fonctionnel permanent conditionne la responsabilité (Moins de 25% = Etablissement ; Plus de 25% = Oniam) : les établissements peuvent donc être concernés par l’indemnisation en l’absence de toute faute.


  • Les conditions d’ouverture d’un droit à indemnisation sont plus larges : indemnisation systématique, soit par l’Oniam en cas de DFP important, soit par l’établissement en cas de DFP plus faible


Si effectivement la péritonite postopératoire peut entrer dans la définition de l’infection nosocomiale (infection ni présente ni en incubation lors de l’admission), il n’en demeure pas moins que le fait générateur est la fistule et non l’infection.


C’est d’ailleurs précisément ce que juge la Cour administrative d’appel de Douai. (CAA Douai, 24 janvier 2023, n° 21DA02910)


En tout état de cause, l’utilisation par les juridictions de régimes juridiques différents sur des complications similaires est problématique.


2. L’état antérieur constitué par l’obésité est aujourd’hui considéré par les juridictions


L’état antérieur constitué par l’obésité et les conséquences directes de celle-ci est réellement pris en compte par la juridiction pour apprécier la condition d’anormalité, ce qui constitue une évolution par rapport à la fin des années 2010. (CA Paris, 07 janvier 2021, n°18/14743 ; CA Colmar, 10 septembre 2021, n° 383/2021 ; CA Paris, 18 novembre 2021, n° 19/07553)


3. Les données statistiques scientifiques varient sensiblement entre les rapports d’expertise


Les taux de survenues de la complication de fistule retenus par les différents experts divergent de façon importante, ce qui peut avoir un impact sur l’indemnisation :




  • Taux global de morbidité de l’intervention (CA Colmar, 10 septembre 2021, n° 383/2021)


  • Fourchettes de survenance larges (Cour d'appel de Colmar - ch. civile 02, 10 septembre 2021 / n° 383/2021, Cour d'appel de Paris - Pôle 04 ch. 10, 18 novembre 2021 / n° 19/07553)


Les données statistiques utilisées par les experts pour des complications similaires survenues à des dates proches sont donc divergentes et peuvent impacter l’indemnisation.


4. Les fautes médicales sont rarement retenues ou de faible impact


Les plaies et perforations, qui devraient entrer dans le régime de la maladresse chirurgicale, sont finalement qualifiées d’aléas thérapeutiques. (CAA Paris, 21/04/2022, n°21PA01738, à rapprocher des autres plaies en matière bariatrique : CA Poitiers, ch. civile 01, 12 avril 2022, n° 20/01637)


Les juridictions font une appréciation stricte du lien de causalité :




L’issue du dossier en matière de complication bariatrique est donc plus qu’incertaine, à tous les stades de la procédure. Une faute semblant évidente à l’avocat lors de la réception du dossier (non-respect des recommandations de la HAS par exemple), peut n’avoir finalement aucune conséquence au stade de l’indemnisation. Une maladresse peut être finalement jugée non fautive par les juridictions. L’obésité, en tant qu’état antérieur, peut faire obstacle à l’indemnisation.


L’important aléa – tant expertal que juridique – doit interpeler et conduire à une réflexion globale en la matière, dans ce contentieux qui est aujourd’hui significatif.





 
 
 

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