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Préjudice moral lié au retard ou à l’absence de communication du dossier médical aux ayants droit d’une personne décédée




Par arrêt en date du 13 février 2024 (n°460187), le Conseil d'Etat a condamné un établissement de soins à indemniser le préjudice moral d'ayants droit d'une personne décédée, fondé sur un retard de communication de pièces du dossier médical.


Contexte

 

Depuis une trentaine d’année, le droit de la santé est marqué par des évolutions majeures en faveur du droit des patients.

 

Au nombre de celles-ci figure le droit du patient ou de ses ayants droit à la communication du dossier médical.

 

Ce droit a été consacré par une première loi hospitalière n° 91-748 du 31 juillet 1991, laquelle le limitait à une communication de la teneur du dossier, et donc à une communication « indirecte », puis par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, qui a défini le droit d’accès au dossier médical tel qu’on le connaît aujourd’hui.

 

Il est actuellement codifié à l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique, qui dispose que « toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé, détenue par des professionnels et établissements de santé […]. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne ».

 

Si le principe du droit à communication du dossier ne fait plus guère de difficulté aujourd’hui, les contours ont dû être, et sont encore, régulièrement dessinés par la jurisprudence.

 

C’est le cas des questions du contenu du dossier communiqué ou encore de la légitimité des auteurs de la demande. 

 

C’est également le cas de la communication du dossier aux ayant droit d’une personne décédée.

 

Après le décès d’un patient, les ayants droit peuvent accéder au dossier médical du patient, dans les conditions prévues à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, sous réserve d’une éventuelle opposition exprimée par le défunt de son vivant (art. L. 1111-7 CSP ; CADA, 13 juin 2022, Directeur du CHU d’Angers), et dans la mesure où les pièces leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits.

 

C’est justement sur la question de la communication tardive du dossier médical aux ayants droit que le Conseil d’Etat s’est récemment prononcé.

 

En effet, si la loi du 4 mars 2002 a opéré un tournant décisif en la matière, elle n’a pour autant pas fixé la moindre sanction à l’encontre des professionnels de santé en cas de retard ou d’absence de communication.

 

Le justiciable peut se tourner vers différents organismes pour tenter d’obtenir amiablement son dossier (défenseur des droits, ordres professionnels, etc.), ou entamer une procédure judiciaire (CADA puis tribunal administratif le cas échéant pour les établissements publics, juge des référés pour un établissement privé ou un médecin libéral), mais se retrouve en tout état de cause privé de son droit à communication durant un temps qui peut être conséquent et souvent entravé dans l’exercice d’autres droits, notamment pour débuter une action en responsabilité.

 

Décision

 

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 13 février 2024.

 

Dans cette espèce, les ayants droit d’une patiente décédée à l’hôpital avaient sollicité la communication de pièces du dossier médical à deux reprises en octobre 2016. Lesdites pièces n’avaient finalement été communiquées qu’au mois de mai 2018 pour l’une des pièces et en septembre 2018 pour l’autre.

 

Le Conseil d’Etat a pris soin de sanctionner ce retard en condamnant l’établissement à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé aux ayants droit du fait du retard à communication.

 

La Haute juridiction a en effet jugé :

 

« 14. En troisième lieu, la communication de la radiographie thoracique prise le jour du décès de Mme A... B... et de la feuille de dispensation de médications, qui avait été demandée au centre hospitalier de Caen par l'époux et la fille de la patiente, respectivement les 10 et 31 octobre 2016, était de nature à éclairer les causes de la mort de Mme A... B.... Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 qu'en ne communiquant ces pièces aux demandeurs que le 25 mai 2018, s'agissant de la radiographie, et le 13 septembre 2018, s'agissant de la feuille de dispensation de médications, alors que les autres pièces du dossier médical transmises aux intéressés au mois de décembre 2016 ne permettaient pas d'identifier de façon certaine les causes de la mort, le CHU de Caen a commis une faute, de nature, en l'absence de circonstances particulières, à leur causer un préjudice moral. Il sera fait une juste réparation de ce préjudice en condamnant le centre hospitalier à verser à M. E... A... B... et à Mme F... A... B... une somme de 2 000 euros chacun. »

 

Cet arrêt a été bien accueilli par la doctrine, qui tend à y voir la création d’une présomption de préjudice moral en lien avec le retard ou l’absence de communication du dossier dans un délai raisonnable.

 

La question de la portée de cet arrêt se pose cependant, la décision du Conseil d’Etat intervenant dans un contexte bien particulier.

 

D’abord, le dossier médical a bien été transmis dans un délai raisonnable aux ayants droit, mais deux pièces semblent avoir fait l’objet d’une « rétention » de la part de l’établissement. L’une des pièces a été transmise durant la réunion d’expertise, tandis que la seconde l’a été 4 mois après la réunion d’expertise, in extremis avant le dépôt du rapport définitif.

 

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que les pièces non communiquées sont des pièces décisives au dossier : « la communication de la radiographie thoracique prise le jour du décès de Mme A... B... et de la feuille de dispensation de médications, […], était de nature à éclairer les causes de la mort de Mme A... B.... », alors que les éléments communiqués précédemment « ne permettaient pas d'identifier de façon certaine les causes de la mort ».

 

Enfin, la décision concerne le cas spécifique de la transmission du dossier aux ayants droit, encadrée par l’article L. 1110-4, lequel prévoit justement que le dossier peut être communiqué « pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ».

 

Ainsi, si dans ce dossier tous les ingrédients semblaient réunis pour que soit prononcée une condamnation de l’établissement, ce type de cas d’école est loin d’être la norme.

 

La demande de préjudice moral ne manquera pas de s’élever dans les contentieux à venir, ce qui permettra d’apprécier la portée accordée par les juridictions -administratives et civile- à l’arrêt du 13 février 2024.

 
 
 

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